Chapitre I : Exil
La pluie était froide. Le temps était des plus mauvais depuis plusieurs jours, depuis le vote du conseil pour être exact. Etait-ce une coïncidence ? Les Géonoviens, pour la plupart déconcertés par la décision des anciens, auraient jurés que les Dieux eux-mêmes avaient pleuré la perte du jeune Prince. Cela dit, la décision était irrévocable et le Prince Kenny n'eut d'autre choix que l'exil. Et c'était ce matin qu'était prévu son départ... En dépit des coutumes, certains villageois vinrent saluer une dernière fois l’héritier du trône avant son départ, lui offrant vivres et monnaie pour son voyage à travers le monde.
Ses affaires prêtes et dûment rangées dans un sac, sa lame rengainée dans son fourreau, son arc et ses flèches portés sur le dos. Le Prince quitta sa maisonnée et quitta le village. Tout le village se tenait derrière lui, assistant impuissant au départ. Le conseil des anciens l'en avait décidé ainsi, et Géonova allait perdre aujourd'hui le dernier Prince Gaulois qu'elle avait abrité en son sein.
Le Prince était pourtant connu pour avoir accompli de nombreuses prouesses malgré son jeune âge. Cela lui avait valu la sympathie de l’ensemble des membres du village. C’est pourquoi il avait échappé, suite à ce funeste jour, à la peine de mort. Les anciens espéraient que l’exil lui permet d’être sauvé. Le Prince était débrouillard et savait survivre en milieu hostile. Il pouvait voyager, partir loin, très loin, et pourquoi pas se faire intégrer dans un autre village.
Le Prince passa la lourde porte d’enceinte de Géonova. Il ne se retourna pas et partit d'un pas décidé du village, ne sachant réellement que faire. Il décida de suivre la trajectoire du soleil, et se rendit à travers la végétation en direction de l’ouest. Sa prudence le força à éviter toute forme de civilisation pendant les premiers jours de son voyage. Le Prince vit alors de chasse et de pêche. Il ne fallait pas qu’on le voie dans ces contrées. Sans quoi, Géonova en pâtirait !
Lorsque qu’il fut suffisamment éloigné de sa province, le Prince décida d’emprunter les routes. Il continua son voyage, allant de village en village afin de trouver gîte et couvert pour la nuit. C’est au bout d’une lune d’errance que le Prince arriva aux abords de Yakatrass. Yakatrass était un petit village vivant sous l’oppression Romaine. Le village ne comptait guère plus d’une dizaine de bâtisses et ne possédait aucune fortification. La pauvreté de ses bois, de ses terres peu propices à la culture, l'en avait fait un lieu fort peu attractif pour l'Empire qui ne se s'en souciait qu'en fin de mois, lors de la collecte des impôts. Mais de l'argent, les villageois n'en avaient point, ce qui avait le don d'irriter le Centurion du secteur.
Ce fut justement en ce jour de collecte qu'arriva le Prince Kenny à Yakatrass. Il assista de loin à une scène des plus insoutenables : l'exécution sommaire d'un vieil homme par un soldat. Fort de son acte ignoble, le soldat, sur ordre du Centurion, s'approcha d'un second vieillard agenouillé près du corps inerte du premier homme. Il leva le bras pour accomplir à nouveau l’acte funeste sur le vieillard.
Ne pouvant laisser un tel acte se produire, le Prince prit son arc en main et l'arma d'une flèche avant de viser le soldat. D’un rapide coup d’œil, le Prince jaugea la situation. Ils étaient trois soldats plus leur chef. Le combat serait certainement inégal, mais qu'importe, il ne pouvait les laisser agir. De plus, il allait bénéficier de l’effet de surprise. Ce qui offre un avantage non négligeable dans la situation actuelle. Le Centurion fit signe au soldat d'exécuter le pauvre homme.
Le Prince décocha la flèche qui, après avoir fendu l'air d'une rare vitesse, vint se loger dans la poignée de l’épée brandie du soldat qui la lâcha sur le coup de la surprise. Le Prince se rua sur le groupe militaire, dégainant vivement son épée. Ils n’étaient plus que deux soldats plus le centurion. S’il pouvait faire tomber un second soldat durant l’assaut, le reste du combat serait bien moins inégal, et l’issu moins incertaine.
Pris par surprise les soldats ne purent justement point se préparer à l'assaut et le premier homme tomba. Dans son élan, le Prince tenta de s’en prendre au dernier soldat qui ne put résister non plus. Et en quelques fractions de seconde, le centurion fut tenu en joue par la lame affilée du Prince. Par cette menace, les autres soldats furent en position d'impuissance et n'osèrent se relever. Le moindre geste entraînerait la mort de leur supérieur. Cela ne leur serait jamais pardonné et les soldats finiraient au milieu des lions pendant les jeux du cirque.
Le Prince jeta un regard dédaigneux à l’homme impuissant :
« De quel droit fais-tu exécuter ses pauvres hommes, sans leur laisser la moindre chance de se défendre ?
__ Ils ont été tués pour l'exemple, répondit le centurion sans se démonter. Nul ne doit défier l'Empire. Ce village n'a pas payé l'impôt depuis trop longtemps, j'ai reçu ordre de les avertir de cette manière !
__ De qui as-tu reçu cet ordre ?
__ Du Gouverneur Tyrannus en personne.
__ Très bien, alors tu lui diras ‘‘en personne’’ que le sang ne pourra jamais rembourser une dette financière. Combien ce village doit-il à ton Gouverneur ?
__ 156 sesterces. »
De sa main libre, le Prince fouilla dans ses poches et en tira sa bourse qu'il jeta aux pieds du Centurion avant d'ajouter :
« Il y a ici largement de quoi rembourser la dette, sers toi et ne t’avise plus jamais de lever la main sur une personne désarmée. Suis-je clair ?
__ Parfaitement. »
Le Prince garda sa pose quelques instants avant de rengainer son arme. Le Centurion hésita un instant, puis ramassa la bourse. Elle contenait plus de 500 sesterces. Il recula alors de quelques pas, craignant une éventuelle attaque de son agresseur inconnu, puis appela ses soldats en retraite.
Les villageois vinrent saluer leur héros et l'emmenèrent voir le chef du village afin de lui narrer l'aventure, déformant le combat, l'amplifiant même, sans doute heureux d'aduler le jeune prince.