Un Prince...

Chapitre 1 : Une ombre

Le soleil au crépuscule avait empourpré le ciel. Le vent soufflait sur les arbres à l’orée de la forêt. Les branches les plus exposées se courbaient sous la pression provoquant un sifflement à la fois lointain et continu. C’était un soir d’hiver qui semblait plus appartenir à l’automne qu’à sa réelle saison.

Un bâton de bois vint se poser sur le sol. Au bout de ce bâton, un pommeau naturel, visiblement pas sculpté. Sur ce pommeau reposait une main. La main sortait d’une longue manche qui appartenait à une silhouette qui venait de s’extraire de la forêt. La silhouette avait visiblement une apparence humaine, cachée sous une cape qui recouvrait même sa tête. Les derniers rayons du soleil ne parvenaient à percer l’obscurité émanant de l’habit et de là il se devait se trouver le visage de l’être. L’être avançait à pas réguliers vers la vallée, près de la petite rivière, là où siègent les ruines d’un village vraisemblablement abandonné depuis longtemps.

A quelques dizaines de mètres de là, Olaf était prêt à dégainer. Cela faisait quelques jours que personne n’était venu en ces lieux. « Ils » sont de retour pensait Olaf. Près de lui, une jeune femme se tenait accroupie près de lui. Caëdre tremblait, elle savait qu’à chaque rencontre de ce type, Olaf mettait sa propre vie en jeu. Mais ils en avaient besoin… pour vivre. Tout deux étaient tapis dans l’ombre. Caëdre referma ses mains sur son ventre. Dans peu de temps, elle donnerait la vie. Alors elle avait peur. Peur qu’Olaf se retrouve capturé, ou pire, mort. Peur que son enfant grandisse sans père, avec juste elle, livrée à elle-même. Olaf dégaina, provoquant un sursaut chez Caëdre. Elle lui prit le bras et lui murmura à l’oreille :
« Soit prudent ! »

L’ombre venue de la forêt avait atteint les premières maisonnées du village déchu. L’état de délabrement donnait des allures macabres aux ruines. Soudain, surgissant de nulle part, un homme apparut et se jeta face à lui, glaive à la main.
« Rendez-vous ! »

La silhouette ne bougea point. Elle fixait de ses yeux bleus Olaf. Il pouvait à présent les distinguer. Le guerrier se dit qu’il y avait quelque chose d’étrange dans son regard. Ses yeux étaient froids et ne témoignaient aucune émotion. Olaf se répéta espérant voir son adversaire lever les mains en guise de rémission. Mais la silhouette ne bougeait toujours pas. Elle le scrutait indifféremment.

L’agresseur bondit alors sur l’homme en cape qui esquiva d’un rapide mouvement. Puis d’un large coup de bâton il déstabilisa son adversaire qui tomba lourdement à terre. Dans son large mouvement, la tête de l’inconnu se défit de sa capuche, libérant une bonne partie de son visage, laissant apparaître une longue chevelure rouge flamboyant, s’accordant à la voute céleste orangée.

Olaf regardait l’homme qui venait de le mettre à terre. Il le tenait en joug de sa canne qu’il avait placé sous sa gorge. L’homme avait accompagné sa chute lentement du regard. A présent il demeurait silencieux. L’inconnu releva les yeux vers la cachette d’où avait surgit Olaf. Le guerrier prit peur :
« Pitié, ne lui faites pas de mal. Vous m’avez battu, je me fais votre esclave, mais ne la touchez pas. Elle porte mon enfant ! »

L’homme ne l’écoutait point. Il avait senti la présence d’une autre personne, il attendait patiemment qu’elle se présente à lui. Qu’importe ce que pouvait dire son assaillant, l’homme ne voulait croire en la bonne foi d’une personne qui l’avait agressé quelques instants auparavant. L’on n’est jamais trop prudent aime-t-on se répéter. Alors il attendit.

Caëdre comprit que la situation était clairement défavorable. Elle entendit son époux lui intimer l’ordre de fuir. Fuir ? Mais pour aller où ? Et comment s’en sortirait-elle sans lui ? Non, elle décida se sortir lentement de sa cachette et de faire face à l’inconnu. Elle s’avança vers lui. Elle s’apprêtait à l’implorer pour la vie de son époux lorsque son regard croisa celui de l’inconnu.

« Mon Prince ! Est-ce bien vous ? Vous êtes revenu ! »
La jeune femme se jeta sur l’ombre humaine qui ne bougea pas pour autant. La jeune femme relâcha son étreinte sur celui qu’ils nommèrent « le bienveillant » fut un temps.
« Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis la femme de ce bougre d’Olaf, Caëdre, j’étais la fille d’un soldat à votre solde ! »
La femme se retourna vers l’homme à terre.
« Espèce d’idiot ! Comment oses-tu ne pas reconnaître ton Prince ! Tu aurais pu te faire tuer »

Caëdre se sentit renaître, c’était Prince Kenny, le si justement nommé « Bienveillant », l’homme venu de loin qui avait battit un village prospère et repoussa les hordes romaines hors du village protégeant les opprimés. Il avait fait d’un simple hameau un village prospère. Puis un jour…

Il avait décidé de partir. Exilé de sa terre natale, le Prince s’était établi en cette région quelques temps. Il s’était même fiancé… Mais un jour, sa bien-aimée disparut. C’est alors que le Prince partit à son tour, choisissant une vie d’errance. Mais sa route l’avait ramené devant ce qui fut jadis son village. Et il se tenait devant deux de ses anciens concitoyens…

« Mon Prince, je suis si heureuse de vous rev…
__ Cessez. Nous ne méritons plus notre titre de Prince.
__ Mais !
__ Considérez-nous comme votre égal !
__ Mais…
__ Nous avons dit ! Qu’est devenu Yakatrass ? »

Le Prince dégagea son bâton de la carotide d’Olaf qui se releva lourdement. Il dévisagea celui qu’il avait considéré comme son chef. Même s’il tient toujours cette place à ses yeux, ceux du Prince avaient changé. Son regard était froid, vide, inexpressif. Bien qu’à présent il ne fût plus son ennemi, aucune mimique sympathique n’émanait du Prince. Olaf dévisagea, le Prince :
« Vous êtes ici sur les ruines de Yakatrass. »

Chapitre 2 : Un autre exile

Autrefois, sur les ruines que défendaient Caëdre et Olaf, était édifiée une grande citénommée Yakatrass. La ville était connue pour être une grande ville commerciale. Qui avait prospéré par l’influence d’un homme. Un étranger venu de loin, un jeune homme en exil qui vint sauver une bourgade du joug de l’Empire Romain. Très vite il avait su organiser de nombreuses défenses afin d’obtenir plus aisément sa liberté. Mieux, le jeune homme avait réuni les villages les plus réfractaires à l’oppression pour fonder les bases d’un monde de paix. Le jeune homme prince dans son pays gagna ce titre également sur Yakatrass.

Dès lors il entreprit de gros travaux de consolidement de la cité. Des fortifications furent érigées pour défendre la ville, des écoles d’armes virent le jour. Le jeune Prince donna même des enseignements de l’art du combat. Faisant même forger des lames particulières, incurvées, qui étonnèrent plus d’une villageois. Toutes ces mesures firent leurs preuves et peu à peu le village prit de l’importance. Bien que passant en arrière garde de l’alliance pour la liberté de la population, Yakatrass devint une plaque tournante du commerce régional, ce qui permit à la cité de s’enrichir et de se lancer dans l’engrenage bénéfique qui fit de la ville une place forte réputée comme étant imprenable.

Mais malgré cette main de fer apparente, jamais l’on ne vit le Prince décider une guerre et encore moins de mener une expédition militaire vers les villes avoisinantes. Non, le Prince se refusait, dit on, de voir ses hommes mourir dans l’unique but d’une quête de puissance. Peut-être avait-il trouvé la réelle source du pouvoir. Son armée, n’était jamais cachée, la garde défendait la ville et bientôt les cités environnantes eurent peur d’éventuelles conquêtes militaires. Mais jamais ils n’osèrent attaquer la cité. De même, jamais le Prince n’usa de sa position dominante. Bien au contraire, il défendit fit défendre une cité pourtant rallié à un rival régional.

Ses choix militaires, et même diplomatiques lui attirèrent une sympathie certes déjà gagnée mais surtout accrue, de la part de la population. Bientôt il gagna le substantif de Bienveillant, s’adjoignant à son titre et son patronyme. On finit par l’appeler en ces termes : Prince Kenny, le Bienveillant.

Bref, voici l’homme tel que Caëdre et Olaf avaient connu l’ombre qu’ils venaient de revoir.

Tous l’aimèrent au point qu’on lui souhaita les meilleures fortunes personnelles. Tout lui avait réussi. Il ne lui manquait plus que l’amour. Et bien qu’il ne s’était penché émotionnellement, on le connaissait toujours quelque peu distant, il finit par se fiancer. La nouvelle tomba comme un coup de tonnerre. L’élue de son cœur n’était pas vraiment connue dans la cité et l’on spécula beaucoup sur « comment » il avait pu la rencontrer. On spécula aussi sur « qui » cette femme fut.

Lisandrax était elle-même héritière du trône d’un village voisin. Elle avait adhéré au mouvement lancé par le Prince et restèrent en étroite relation dès lors. Mais leur complicité fut tenue secrète et donc Yakatrass ignorait l’identité de Lisandrax. Et réciproquement à Lucette, la cité de la jeune demoiselle, Prince Kenny n’était connu que part les commerçants venus à Yakatrass pour affaire.

Mais souvent bien belles histoires connaissent fin tragique. Lors d’un voyage officiel de Lisandrax vers Yakatrass, des bandits de grand chemin s’attaquèrent au convoi. L’attaque tourna mal, on ne su pourquoi, et il n’y eut aucun survivant, pas même au sein du camp des voleurs. La scène montrait un horrible massacre que les mots ne suffisent pas pour en décrire les moindres détails. En résumé, quelqu’un, ou plutôt quelque chose, était intervenu. Quelque chose de surhumain, plus bestial que tout ce qui était connu à ce jour. Aucun corps ne put être reconnu.

La nouvelle eut l’effet d’une bombe à Yakatrass. Prince Kenny s’en trouva anéanti. On observa a Yakatrass ainsi que sur les terres de Lisandrax une semaine entière de deuil. Une cérémonie fut organisée. De nombreux représentant de villes environnantes assistèrent aux funérailles. Le Prince s’y montra profondément meurtri et particulièrement inconsolable.

Malgré cela, la vie reprit son cours petit à petit partout dans la ville. Enfin… presque partout : le Prince n’avait repris goût à la vie depuis le décès de sa bien aimée. Les rumeurs les plus folles évoquèrent même une tentative de suicide. Mais rien ne put prouver ces dires, d’autant plus qu’un tel acte était considéré comme une forme de lâcheté à Yakatrass. Mais l’on savait le Prince d’origine étrangère, élevé à des us bien étranges. Alors qui sait ?

Toujours est-il qu’il se laissa aller à une passivité nocive, emprunte d’une culpabilité infondée « pourquoi n’était-il pas là, pou la protéger ». L’on fit mille et un efforts pour le sortir de son oisiveté autodestructrice. En vain. Le Prince ne pouvait concevoir ce qui s’était produit. Il s’était même rendu sur les lieux de l’agression. Dès lors il en fut changé, pas forcément dans le bon sens du terme… Ce carnage l’obsédait… Il voulait comprendre ce qui s’était passé.

Un soir, alors que l’on vint s’enquérir de la santé du Prince, la suivante, Caëdre, trouva maison vide à l’exception d’un simple mot griffonné sur un bout de papier :
« Nous devons savoir »